(chronique des derniers soubresauts de la filière nucléaire française ?)

Depuis plus d’un demi-siècle, des militants écologistes ont battu le pavé, multiplié les actions et produit des études nombreuses sur les risques environnementaux encourus afin de convaincre le monde politique du risque déraisonnable que constituait la filière électronucléaire. Las, la puissance du lobby nucléaire couplée à la garantie d’une énergie abondante et peu chère aura toutefois permis qu’elle se développe au niveau mondial, et même qu’elle soit dominante dans certains pays, dont la Belgique et la France.  Ces dernières années, la filière électronucléaire se sera également positionnée en tant qu’alternative écologique aux énergies carbonées à l’heure du défi climatique. Une provocation à l’heure de Fukushima qui aura connu un succès mitigé.

Si tous les arguments de raison ont échoué à stopper cette filière dont les inconvénients majeurs sont chaque jour davantage patents, il semble qu’un autre soit désormais en mesure de marquer un coup d’arrêt, un triste argument qui préside désormais à l’essentiel des décisions politiques mais dont on se satisfera s’il le faut, l’argument économique. Le nucléaire n’est plus rentable, même en faisant peser sur la collectivité et en n’intégrant pas dans les charges des acteurs du secteur les coûts liés au risque, à la sécurité, et à la gestion des déchets.

Une histoire de coûts

Ces dernières années ont vu les coûts de production de l’éolien et du solaire baisser de façon conséquente (-50 % et -75 % respectivement de 2009 à 2014).  De l’électricité produite via un réacteur nucléaire dit de « nouvelle génération » coûte désormais plus cher que via du renouvelable (même en ne prenant en compte que le coût de construction et pour une durée d’amortissement relativement longue). En conséquence, une mutation d’importance est en cours. Désormais, environ 90% des nouvelles productions d’électricité installées dans le monde sont d’origine renouvelable.  Le marché de production électrique étant encore dominé par les sources carbonées, si l’on ajoute à cela un prix très bas du gaz et du pétrole, le fiasco du marché carbone, et une capacité de production trop importante en Europe, on comprend le prix planché de l’électricité créant un contexte archi défavorable à la construction de nouvelles centrales nucléaires.

Un village d’irréductibles Gaulois résiste encore

Pour autant, les partisans du nucléaire n’ont pas encore dit leur dernier mot. Outre quelques acteurs actifs dans les centrales low-cost destinées aux pays en voie d’industrialisation, outre la prolongation de nombreuses centrales (ces centrales déjà amorties étant les seules rentables mais au prix d’un risque d’accident accru dont l’Etat assume la charge), plusieurs projets pharaoniques dits de « nouvelle génération » sont encore dans leurs cartons. Arguments ?  Ne plus dépendre des énergies fossiles pour des raisons géopolitiques et écologiques.

En particulier,  un village d’irréductibles Gaulois pro-nucléaires résiste encore et toujours à la transition vers le renouvelable : la France. Alors que les grandes entreprises françaises actives dans le secteur (en particulier Areva et EDF) ne sont encore « en vie » qu’au prix d’aides d’Etats massives plus ou moins bien déguisées (en la matière la Commission européenne fait preuve d’une cécité pour le moins interpellante), alors qu’il apparait de plus en plus clairement que les sommes « cagnotées » pour assurer le démantèlement des centrales existantes et la gestion des déchets sont largement insuffisantes, cette fuite en avant risque d’alourdir sévèrement encore la facture que nous, à travers l’Etat, aurons à payer pour assurer l’héritage désastreux du nucléaire. Et tout ceci, sans aborder le risque réel d’accident nucléaire majeur que font peser chaque jour davantage les risques pris par ces acteurs dans le contexte économique et la logique de concurrence qui sont les leur.

Le coup de poker fou d’EDF …

Le cas du géant EDF, premier producteur mondial d’électricité nucléaire, est particulièrement éclairant.  Alors que l’entreprise est au bord du gouffre financier, elle tente actuellement un coup de poker très inquiétant. Le 28 juillet dernier, un Conseil d’administration très mouvementé d’EDF se tenait, et votait (10 voix contre 7) le financement de la construction de deux réacteurs nucléaires de type EPR à Hinkley Point dans le Sud de l’Angleterre, faisant le choix de radicalement orienter les moyens  du producteur d’énergie français vers l’atome. Ce vote aura été en vérité un passage en force parfaitement anti-démocratique.  A titre d’exemple, les administrateurs ont reçu les 2500 pages d’avant-contrats (en anglais) moins de 24 heures avant le CA.  Dénonçant cette situation, Gérard Maghin, un des six administrateurs nommés pas l’Etat a d’ailleurs remis sa démission. Elle intervient après celle, en mars, de l’ancien numéro deux et directeur financier, Thomas  Piquemal.  Dans sa lettre de démission, Gérard Maghin explique  que « alors que la diversification énergétique est partout à l’ordre du jour dans le monde et que les entreprises énergétiques opèrent des changements parfois radicaux, le centre de gravité d’EDF se déplace encore davantage vers le nucléaire. » Du côté syndical, pourtant traditionnellement très pro-nucléaire, c’est également la grogne face à cette stratégie. Il faut dire que le risque financier pris est absolument démesuré.  Cas unique, aucune banque n’ayant accepté de soutenir le projet, EDF a décidé de financer intégralement l’investissement sur fonds propres, soit plus de 20 milliards d’euros (une facture qui pourrait doubler selon plusieurs experts). Au mois de mars 2016, la capitalisation boursière d’EDF était de 21 milliards d’euros, alors que sa dette se montait à 37 milliards d’euros. Au regard de ces chiffres, on comprend mieux combien entreprendre un tel investissement constitue un risque insensé. C’est à la vérité, l’acte un peu désespéré d’une entreprise au bord du gouffre.

…et le coup d’arrêt britannique

On croyait le plus difficile effectué du côté d’EDF, mais c’était sans compter sur le client, Londres.  La réunion de signature du contrat qui devait se tenir dès le 29 juillet a en effet été reportée à la dernière minute, le nouveau ministre du Commerce et de l’Energie britannique, Greg Clarck, estimant qu’il devrait « analyser soigneusement tous les aspects du projet et prendrait sa décision à l’automne ». Pourquoi ?  Le contrat signé entre EDF et le précédent gouvernement britannique prévoit une « garantie de rémunération de l’opérateur ».  Or, ce prix garanti par le gouvernement britannique (soit 92,5 livres/MWh), est désormais trois fois supérieur au prix de marché. Dès lors, pourquoi construire un réacteur qui produira une énergie dont le prix est manifestement bien plus élevé que le prix du marché ? Pour assurer son indépendance énergétique ?  Cela semble cher payé, surtout si celle-ci est désormais accessible via des énergies renouvelables dont la rentabilité ne cesse de progresser.

Est-ce le coup de grâce pour la filière électronucléaire ?

Le cas de Hinkley Point n’est sans doute pas la dernière tentative de la part des opérateurs de la filière électronucléaire française de lancer la construction de nouvelles centrales.  En particulier, le gouvernement français, au nom de la défense de ses fleurons, et sans doute des 200.000 emplois de la filière, semble disposé à lancer la construction de nouvelles centrales sur son territoire. Mais il apparait chaque jour davantage que ceci est irrationnel. A la folie écologique que constitue cette filière qui fait peser sur les générations futures le poids de la gestion des déchets nucléaires, à la folie plus directe d’un risque d’accident nucléaire, se couple désormais une folie économique. Les centrales EPR ne sont pas rentables !

En se comportant à la fois en entrepreneur et en garant du programme nucléaire, l’État français a organisé l’irresponsabilité financière des opérateurs de la filière, en témoigne ce coup de poker fou d’EDF. Mais il devient de plus en plus compliqué d’associer d’autres gouvernements à cette folie. En conséquence, ces opérateurs sont dans une santé financière de plus en plus catastrophique.  Ne pas trouver de nouveaux débouchés à l’étranger signifiera probablement leur arrêt de mort à terme.

Quel avenir pour le nucléaire chez nous ?

A travers ses 7 centrales gérées par Engie (ex GDF-Suez), la Belgique est en première ligne si la filière nucléaire française venait à imploser. Engie n’en est pas un acteur majeur mais il sera directement impacté.

Certains vantent la technologie nucléaire française comme étant remarquable. A ce stade, ce qui semble remarquable est le fait qu’elle soit encore en vie. Ceci s’explique par deux facteurs principaux.  Il y a tout d’abord le soutien massif de l’Etat. Il y a par ailleurs des artifices comptables permettant de reporter les coûts liés au risque et au démantèlement dans un avenir tellement lointain et incertain qu’ils ne sont pas inscrits dans les comptes ce qui permet, à court terme, de tenir la navire à flot. 

Le prochain artifice qui s’annonce n’est pas uniquement comptable. Il s’agit de la prolongation des centrales au-delà de leur durée de vie prévue.  Cet artifice pourrait bien avoir des conséquences incommensurables si un accident devait survenir. 

C’est pourquoi, en Belgique comme en France, nous devons nous battre contre la prolongation de ces centrales.  C’est le plus sûr moyen d’enfin mettre fin à la filière électronucléaire.

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