J’ai beaucoup de mal à arrêter une position tranchée sur la question du port du voile et mon parti, avec sagesse je pense, a lui aussi décidé de ne pas se lancer tête baissée dans cette polémique qui divise aujourd’hui le camp (déjà fort dégarni) de la gauche en général, et de la gauche radicale en particulier.
Issu d’une famille laïque « première génération », celle qui a eu à s’émanciper de l’emprise chrétienne et en conserve une allergie profonde pour l’immixtion du religieux dans l’espace publique et démocratique, je suis un laïque convaincu et résolu. De l’Inquisition à l’axe du mal de G.W. Bush, l’intrusion du religieux dans la gestion de l’Etat a toujours conduit au conflit et à la haine. La religion, toutes les religions, doivent donc être de l’ordre du cheminement personnel.
Partant de ce point de vue, voici quelques réflexions concernant la question du port du voile qui agite aujourd’hui le landerneau politique belge. Merci de considérer ceci comme une entame de débat et non comme un avis arrêté.
Je constate comme beaucoup une (re)montée réelle du fait religieux à travers la planète. Cela étant, j’ai souvent l’impression que l’on en démultiplie l’ampleur. Comme pour le fait régional, si ces mouvements sont réels et enracinés parfois dans un puissant terreau sociologique, force est de constater qu’ils sont instrumentalisés par certains dans la mesure où ils servent également d’efficace cache sexe aux problèmes économiques et sociaux enfantés par le capitalisme. Alors que nous sommes toujours au cœur de la plus grande crise économique qu’ait connu le système capitaliste, alors que se mijote sur le dos de la population des coupes sombres dans le budget de notre Etat, alors que l’avenir de l’Europe est suspendu au souhaitable « non » irlandais, j’ai donc beaucoup de réticence à donner une importance trop grande à ce débat de société.
Si une forme de radicalisation religieuse est généralisée, pensons aux créationnistes américains, il est clair que la radicalisation de certains musulmans constitue le sommet visible de l’iceberg. Interpelle particulièrement notre population, la radicalisation de populations installées (parfois depuis plusieurs générations) sur notre territoire. Le fantasme de l’ « islamisation du pays » fait florès. D’aucuns agitent le spectre de nos filles voilées. Doit-on même se poser des questions sur la barbe du prince (avec un petit « p ») Philippe ? Au-delà d’un possible, mais il me semble marginal, prosélytisme en faveur d’un certain Islam qui serait financé par des théocraties islamiques comme l’Iran ou l’Arabie, il serait sot de ne pas lier d’abord cette montée religieuse à un désir d’appartenance de la part de populations, les jeunes notamment, fortement discriminées. Au plan national, les pratiques discriminantes de nos forces de l’ordre sont légions et les sanctions qui en résultent laxistes. Plusieurs campagnes démontrent une importante discrimination à l’embauche. Economiquement, la grande précarité des populations turques ou marocaines a été démontrée via divers rapports sur la pauvreté dans notre pays. Au plan international, la terrible et humiliante injustice vécue par le peuple palestinien et l’assentiment obscène donné par notre pays et par l’Europe à la politique coloniale de l’Etat d’Israël, sont autant de sources de radicalisation certaine. C’est d’abord en attaquant ces injustices à la racine (c’est cela être radical) que l’on combattra le mauvais refuge que constitue une appartenance religieuse.
Nous vivons dans un pays où la laïcité est un leurre. Les liens entre pouvoir politique et religieux (catholique en l’occurrence) sont nombreux. On se souviendra de « l’incapacité » de Baudouin sur l’avortement comme de l’intrusion du cardinal Daneels sur l’euthanasie. Chaque année nos élus se retrouvent au Te Deum. S’il est une priorité, c’est celle-là, travailler concrètement à la laïcisation de notre Etat. Et, dans un pays où la famille royale est le premier ambassadeur du Pape, ce combat va de pair avec le combat républicain.
Concernant l’enseignement, on ne peut ignorer qu’il existe dans ce pays un réseau d’enseignement « religieux », abusivement qualifié de réseau « libre ». La communauté Flamande vient d’interdire les signes religieux dans le réseau officiel. Quid du libre ? Quand va-t-on débaptiser les écoles catholiques de Flandre et en ôter les milliers de croix présentes? L’hypocrisie est totale.
En théorie, la disparition de TOUS les signes religieux de la sphère éducative est une idée attrayante pour un laïc. L’interdiction « par le haut » est-elle la voie à suivre ou un aveu d’impuissance ? Comment être certain que demain ce ne sont pas les signes politiques (tracts de mouvements étudiants, tracts syndicaux, t-shirts,…) qui seront ciblés ? Par ailleurs, en pratique, les mesures discutées aujourd’hui, stigmatisent spécifiquement une religion, l’Islam, la réduisant à ses excroissances les plus radicalisées. La conséquence risque donc d’être un renforcement du communautarisme et un repli identitaire accru. Si l’on veut émanciper les jeunes gens (pas seulement les filles) happés par la solution simpliste du radicalisme religieux, la seule bonne solution est l’éducation. En les excluant de l’école, en laissant se créer des établissement privés islamiques, on aboutira à l’exact contraire.