Stop ! Tout le barnum autours des « bagnoles » est épuisant. Les publicitaires s’échinent depuis des années – avec un succès malheureusement certain – à associer aux voitures une série impressionnante de qualificatifs valorisants.
Après la « voiture luxe » accompagnée de sa pin-up faiblement vêtue qui languit sur le capot, après la « voiture plaisir » avec ses quatre-roues motrices et son pare-buffle pour arpenter les chemins forestiers mais surtout les sorties d’école en ville, voici venue la « voiture écolo ».
Des voitures repeintes en vert
Aujourd’hui que la mode est au vert, la voiture – et même ses pneus – sont devenus, selon les publicitaires, des outils du développement durable. Et tels des lapins de garenne (logique lorsque l’on parle du-râble), heureux de faire un geste pour la planète, nous, citoyens consciencieux courons dans la grise campagne d’un avenir automobile qui est pourtant loin d’être radieux.
Citroën, qui chaque week-end brûle plus d’essence qu’un village tout entier afin de propulser ses bolides survitaminés au faîte des rallyes mondiaux, explique sans rire au citoyen la nécessité d’une prise de conscience écologique. Quel est le message ? En résumé, que pour être écolo nous devons revendre notre minable tas de ferraille et opter pour une voiture de leur gamme. (Notons par ailleurs que les stratégies marketing visent principalement à promouvoir les modèles haut de gamme (lourds et puissants), ceux sur lesquels les marges bénéficiaires sont les plus larges.) Que des empêcheurs de consommer en rond comme le scientifique Pierre Ozer aient montré que le gain écologique était loin d’être avéré (Voir sur le blog de Pierre Ozer) ne les perturbent pas. Business is business.
Au Japon, jouant avec plus encore de « malice », les constructeurs nationaux ont accepté de payer une somme importante à des citoyens ayant entamé une procédure contre les pollutions liées aux moteurs diesel (Voir Le Monde 16 août 2007). Notez la nuance : on s’attaque uniquement au diesel ! Parallèlement, les constructeurs nippons rappelaient leur position de leader en matière de véhicules hybrides. Business as usual.
Sortons du rêve publicitaire pour regarder la réalité en face
Si certains ont du plaisir à entendre le ronronnement de tel moteur, à ressentir les accélérations de tel autre, si le galbe d’une tôle peinte les élèvent, on peut raisonnablement penser que notre société ne se porte pas au mieux, que dans son moteur quelque chose ne tourne pas rond. Une voiture, c’est un outil. Ce n’est pas une machine à rendre heureux, à socialiser ou à valoriser. Ce n’est pas un équipement sportif, ce n’est pas un vêtement de soirée, une seconde peau. Ce n’est en rien un objet d’art ou de décoration.
L’automobile est un outil conçu pour améliorer la mobilité, un outil qui devrait par ailleurs satisfaire à quelques critères importants : sécurité, rapidité, coût réduit et impact écologique minimum.(Il peut sembler étrange de rappeler ces évidences mais la publicité a merveilleusement réussit à les effacer.) Force est de constater qu’entre les bouchons et les conséquences sanitaires et écologiques, le résultat est catastrophique.
Quelques éléments d’un bilan lamentable
Premier critère sur lequel la voiture est un échec : la sécurité. Les accidents de la route sont la deuxième cause de mortalité chez les jeunes âgés de 5 à 29 ans. Quelques 1,2 millions de personnes perdent la vie chaque année sur les routes de la planète – soit l’équivalent d’un Holocauste tous les cinq ans comme le relève David leloup (Source : « La voiture propre n’existe pas », David Leloup.) – et 50 millions de personnes sont blessées ou handicapées (Source : «Journée mondiale de la Santé: l’accident de la route n’est pas une fatalité», OMS, 7 avril 2004). Le coût est d’abord humain mais il est également financier. Les accidents de la route coûtent aux pays entre 1% et 2% de leur produit national brut, soit US $518 milliards par an. Dans les pays à revenu faible ce coût est supérieur au montant total de l’aide au développement reçue. Une tonne de métal lancée à plus de 100km/h, cela demeure intrinsèquement dangereux (Ceintures de sécurité, systèmes de freinage ou airbag améliorent sans doute la situation – essentiellement des occupants de l’auto et non des victimes que sont les usagers faibles, piétons et cyclistes, il faut le noter – dans les pays riches mais sont loin d’être généralisés.) .
La voiture représente également une catastrophe écologique et sanitaire. A l’heure du réchauffement climatique, les voitures demeurent extrêmement polluantes. Les (lentes) améliorations technologiques se voient plus que compensées par certaines évolutions (augmentation du poids, systèmes de conditionnement de l’air,…) ainsi que par l’augmentation du parc automobile. Entre 1996 et 2006, le nombre de voitures particulières en circulation dans notre pays a augmenté de 14,7% (Si l’on remonte jusque 1960, l’augmentation est de plus des 500%), pour atteindre un parc automobile avoisinant les 5 millions de voitures. Dans le même temps, les kilomètres parcourus ont augmenté de 15,2% (Source : Institut National des Statistiques). Dans le cadre du Protocole de Kyoto, la Belgique s’était engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 7,5% à l’horizon 2010 par rapport à 1990. Or, entre 1990 et 2003, les émissions totales belges ont augmenté de 0,6%. Et dans ce bilan, les émissions de gaz à effet de serre du transport ont augmenté de 30% sur 13 ans et représentent aujourd’hui 18,5% des émissions totales de la Belgique, dont 60% pour la seule voiture.
Outre le C02, les voitures rejettent également de nombreux autres polluants (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, plomb, particules fines…). Les pollutions liées aux particules fines – taille de l‘ordre du micron – interpellent aussi de plus en plus. Non filtrées par les défenses naturelles de notre système respiratoire, celles-ci pénètrent profondément dans nos poumons créant des troubles respiratoires et cardio-vasculaires. Elles sont également considérées comme cancérigènes (Source : « La voiture propre n’existe pas », David Leloup). Selon une étude publiée récemment dans la revue médicale The Lancet, les enfants vivant à proximité d’une autoroute ou d’une route à fort trafic ont un développement pulmonaire réduit et leur santé risque de s’en ressentir à l’âge adulte. Une autre étude intéressante, celle faite par l’équipe du Dr Michele De Rosa, a montré que la pollution automobile affectait la qualité du sperme. Symbole de virilité pour les dragueurs en mal de confiance, la voiture se révèle finalement plus nocive que bénéfique pour la fertilité des hommes. Les chercheurs italiens ont examiné la qualité du sperme de 85 hommes travaillant à des barrières de péage et donc exposés 6 heures par jour aux gaz d’échappement. En comparant ces échantillons à ceux des hommes vivant dans la même région, ils ont observé que les paramètres relatifs à la qualité du sperme étaient significativement moindres chez les employés des péages et même inférieurs aux normes définies par l’Organisation Mondiale de la Santé. De plus amples analyses ont permis de montrer que les protoxydes d’azote et le plomb seraient les substances les plus dangereuses. (Source : Doctissimo).
Troisième échec, le coût. Prix d’achat, de réparation – vive les gadgets électroniques – et d’entretien, assurances ou encore carburants, la note est salée. Sur le site du moniteur automobile (Voir sur www.moniteurautomobile.be) il est possible de calculer le coût mensuel et au kilomètre de sa voiture. Pour 15.000 kilomètres par an, hors omnium – laquelle alourdit parfois sérieusement la note – et sans aller jusqu’à opter pour un monstre énergivore comme la Porsche Cayenne (2.133 €/ mois, soit 1,71€/km), les prix sont éloquents. Une berline moyenne coûte de l’ordre de 500€/mois soit 0,5€/km, un monospace de 700 à 900€/mois, les toutes petites voitures descendant au mieux jusqu’à environ 350€/mois soit 0.3€/km. Un trajet un train coûte lui entre 0.1 et 0.25€/km selon la distance et pour les abonnés, le coût est de l’ordre 0.05€/km. C’est 35 fois moins qu’avec un rutilant Cayenne. Le coût de reviens au kilomètre du vélo est lui aussi ridiculement bas en comparaison de la voiture. Comment dès lors expliquer qu’en Belgique, 66% des déplacements de moins de 2 km se font en voiture ?
S’il peut sembler plus anecdotique, le dernier échec automobile est celui de la mobilité. La totalité des grandes villes sont aujourd’hui complètement engorgées et la multiplication des infrastructures routières ne fait qu’accentuer le problème. Il ne se passe pas un seul jour ouvrable (hors vacances scolaires) où le Ring de Bruxelles ne connaisse des embouteillages importants. Sur certaines sections, ces files subsistent du matin au soir sans interruption. Il en est de même des autoroutes qui relient ce grand périphérique aux provinces de Belgique. Aujourd’hui, 200.000 véhicules entrent et sortent de Bruxelles chaque jour. Outre l’explosion du temps de transport lié aux embouteillages, le même problème se pose lorsqu’il s’agit de parquer les véhicules.
Un lobby d’une puissance extrême
Aujourd’hui, l’industrie automobile représente environ 20% du produit mondial net (c’est-à-dire la valeur ajoutée générée annuellement dans le monde). Un chiffre qui en fait «la plus grande industrie capitaliste, bien plus encore que celle de l’armement». (Source : « Automobile, pétrole, impérialisme » de Hosea Jaffe, Parangon/Vs, 2005). Que ce soit au niveau du lobbying politique ou médiatique – il s’agit, de loin, de plus important annonceurs publicitaire, tous médias confondus – cette industrie représente une force extraordinaire.
Pour en sortir
Face à ce mastodonte, face à l’œuvre de matraquage publicitaire qu’il exerce et qu’il conviendrait soit dit en passant de museler sérieusement ne fut-ce que pour publicité mensongère – joli pléonasme j’en conviens – il existe une seule solution, offrir une alternative crédible. Il ne s’agit pas comme le suggère la FEBIAC de proposer un « moyen de combattre les files dans les territoires à forte congestion » (Source : Site de la FEBIAC) mais d’une alternative vouée à devenir demain le mode de transport majoritaire. Il faut pour la majorité des déplacements un transport public collectif confortable, plus rapide et moins cher.
Cela nécessite un engagement fort des pouvoirs public et donc concrètement un investissement massivement dans le transport collectif et public. Il est inconscient de confier à des intérêts privés soumis à une logique de marché et de profit, un aspect aussi essentiel de notre société.
Il faut dire « stop » à la logique des pouvoirs publics dans de nombreux pays et particulièrement en Belgique qui ont opté pour le (quasi) tout à la voiture. A Liège, on préfère une énième bretelle autoroutière à une infrastructure de tram mais d’une alternative, du transport majoritaire de demain. On a fermé 3 gares sur 4 et le réseau ferroviaire (Source : «Les petites gares font de la résistance», Imagine, n°49, mai & juin 2005, pp. 24-25.)
Par ailleurs, il est temps de repenser l’urbanisme sur base de critère écologiques. L’habitat est aujourd’hui trop morcelé.