Les partis écologistes européens présentent depuis quelques années les filières vertes comme « la » solution aux problèmes de sous-emploi et de désindustrialisation que connaissent à des degrés divers tous les pays d’Europe occidentale. Le plus souvent, cette solution est mise en avant aux dépends d’une autre jadis au cœur de leurs revendications (comme de celles de toute la gauche), la réduction collective du temps de travail (avec embauche compensatoire et sans perte de salaire). Cette dernière est, il est vrai, bien moins consensuelle et porte les germes d’une véritable contestation de la logique productiviste et d’une réflexion sur une meilleure répartition des richesses produites via un rééquilibrage du rapport capital-travail.
Synthétiquement, les filières vertes sont le plus souvent constituées de trois secteurs d’activité : la recherche et développement, la production/construction (fabricants de panneaux solaires et photovoltaïques, constructeurs d’éoliennes ou de systèmes de géothermie, fabricants d’isolants,…) et l’installation/entretien.
Il est exact que des chantiers comme l’isolation des bâtiments ou l’installation et l’entretien de systèmes de production d’énergies vertes (essentiellement éolien et photovoltaïque aujourd’hui) peut pour un temps fournir des emplois plus difficilement délocalisables. Notons cependant que ce n’est pas (plus) totalement exact (en particulier pour les grands chantiers) puisque l’on constate qu’un recours croissant est fait à des travailleurs étrangers moins bien payés. En somme, on ne délocalise pas l’activité mais les travailleurs via le recours à des firmes étrangères. Force est de constater que pour les deux autres secteurs (production et recherche), la réalité est tout sauf rose-verte.
Du côté de la production, un à un les fabricants de panneaux photovoltaïques européens mettent aujourd’hui la clef sous la porte ou font état de la grande précarité financière qui est la leur. Plusieurs fabricants allemands de premier plan ont « ouvert le bal » et chez nous, c’est dernièrement la société Photovoltech de Tirlemont, seul fabriquant belge de panneaux photovoltaïques et pur produit de la recherche publique flamande qui vient d’annoncer sa mort clinique. Venus de Chine essentiellement, des panneaux à bas prix envahissent le marché européen. Les autres énergies renouvelables, et en particulier l’éolien, sont appelées à suivre le même processus d’extinction. L’Espagne, déjà moribonde économiquement et qui a fait de cette filière une spécialité, a bien du souci à se faire.
Et ces entreprises sont de grandes « consommatrices » de recherche et développement (soit en leur sein soit via des collaborations avec des centres de recherche et développement), activités qui risquent très rapidement elles aussi de pâtir de la mutation en cours voyant s’éteindre la part privée de leur financement.
Ceci est la démonstration cruelle que sans remise en cause de principes inscrits dans les traités européens comme la concurrence libre et non faussée ou la libre circulation des marchandises (qu’ont votés les partis écologistes), il n’y aura aucun salut vert. Le gap technologique, lorsqu’il persiste ce qui de moins en moins une réalité, est bien insuffisant pour préserver nos entreprises de concurrents venus de pays où les salaires sont cinq ou dix fois inférieurs et les conditions de travail infiniment plus mauvaises encore que chez nous (absence de protection syndicale, travail des enfants, travail hebdomadaire largement supérieur aux normes horaires européennes, absence de cotisations sociales,…).
C’est pourquoi si l’on prétend prôner avec conséquence une transition écologique (et le même raisonnement vaut d’ailleurs pour de nombreuses autres filières), il est important de mettre très rapidement à l’agenda politique le protectionnisme social, c’est à dire le fait d’imposer aux frontières de nos états une taxation susceptible de compenser les distorsions de concurrence. Sur base des normes sociales en vigueur dans les différents pays ceci est techniquement assez facile. L’obstacle majeur est évidemment l’arsenal politico-juridique avec lequel les partisans des logiques ultralibérales ont enrobé les politiques de mise en concurrence mondiale de travailleurs, ainsi que les organismes « chiens de garde » comme la commission européenne ou l’OMC qu’ils ont mis sur pied. Il n’est cependant d’autre alternative que d’affronter frontalement ceux-ci si l’on veut réellement stopper le processus de délocalisation de la filière verte. Il faut également que puisse être pris en compte dans sa totalité le coût du transport. Aujourd’hui les pollutions liées au transport de marchandises (émissions de CO2, particules fines,…) de même que les infrastructures y afférentes ne sont quasiment pas internalisées dans le coût des produits importés.